
Soutenue par l'UE, Meloni investit en Afrique pour limiter l'émigration

Limiter l'émigration venant d'Afrique en aidant l'économie du continent, tout en y étendant l'influence de l'Italie: Giorgia Meloni promeut vendredi son "plan Mattei", aux ambitions jugées par certains irréalistes, lors d'un sommet co-présidé par Ursula von der Leyen.
La présidente de la Commission européenne est à Rome pour soutenir ce dispositif porté à bout de bras par la cheffe du gouvernement ultraconservateur Giorgia Meloni.
Au dire du gouvernement, le "plan Mattei" mobilisera 5,5 milliards d'euros pour des initiatives éparpillées sur 14 pays, mais selon un rapport officiel de novembre, moins de deux milliards d'euros ont déjà été assignés par l'Italie à des projets précis, sous forme de dons, de prêts ou de garanties sur plusieurs années.
Pour "supprimer les causes" de l'immigration clandestine en Italie, Giorgia Meloni avait annoncé un mois après son élection en 2022 vouloir soutenir les économies des pays africains.
D'où ce plan qui porte le nom d'Enrico Mattei, père fondateur du géant italien des hydrocarbures Eni, connu pour avoir mis en place des contrats d'extraction de pétrole plus avantageux pour les pays producteurs.
C'est précisément cet héritage que revendique Rome, qui promet des relations avec l'Afrique dénuées de "paternalisme".
Une allusion à peine dissimulée à la France, qui a vu son influence en Afrique reculer, plusieurs pays du Sahel ayant sommé Paris de retirer ses forces militaires.
- Energie et matières premières -
Un moyen également de renforcer les relations commerciales entre l'Italie et le continent dans le domaine de l'énergie, alors que l'invasion russe en Ukraine a forcé l'Italie à chercher de nouveaux fournisseurs de l'autre côté de la Méditerranée, notamment en Algérie.
Quatorze pays africains sont concernés, notamment ceux du Maghreb - sauf la Libye -, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Kenya ainsi que l'Ethiopie, où Rome a un passé colonial.
Les projets plus importants en termes de financements concernent l'énergie et les matières premières, tandis que d'autres fonds sont destinés à l'éducation, la santé et l'accès à l'eau.
Rome compte par exemple participer au financement d'une voie ferrée entre la Zambie et l'Angola, et investir 65 millions d'euros dans la production de biocarburants au Kenya.
A l'occasion du sommet vendredi, où sont attendus plusieurs dirigeants africains, Bruxelles cherchera par ailleurs à faire converger le plan italien et sa stratégie "Global Gateway" annoncée en 2021, qui inclut de nombreux investissements en Afrique en réponse au programme chinois des "Nouvelles routes de la soie".
Interrogée par l'AFP jeudi, une porte-parole de la Commission européenne a estimé que le Plan Mattei est une "contribution importante" à ce projet européen, dont les financements à hauteur de 150 milliards d'euros font pourtant pâlir les 5,5 milliards avancés par Rome.
Pour Giovanni Carbone, professeur à l'université de Milan et chef du programme Afrique de l'Institut pour les études de politique internationale (ISPI), d'un point de vue diplomatique, l'Italie peut s'afficher comme un acteur plus "présentable" que la France pour porter les intérêts européens, notamment dans les pays du Sahel qui "ont claqué la porte" à l'ex-puissance coloniale.
- "Trop promis" -
Mais le gouvernement "a trop promis" en faisant miroiter que ces investissements, en créant des emplois et de la croissance, pourraient réduire le nombre de migrants. "Les financements que l'Italie peut mettre à disposition ne sont pas à la bonne échelle", a-t-il jugé auprès de l'AFP.
Le "plan Mattei" a été globalement bien reçu par les gouvernements partenaires. "On ne peut se suffire des seules promesses souvent non tenues", avait toutefois prévenu en janvier 2024 à Rome le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat.
Le président kényan William Ruto avait alors également salué ce plan "ambitieux", mais noté "que l'investissement seul n'est pas suffisant", rappelant d'autres obstacles pour les économies africaines qui doivent payer "cinq fois plus pour leur dette" que les pays européens.
Pour l'ONG ReCommon, qui "travaille pour contrer le pouvoir des multinationales", les investissements du "plan Mattei" pourraient servir avant tout les intérêts des "grandes entreprises de l'industrie italienne des combustibles fossiles", a jugé auprès de l'AFP Simone Ogno qui s'occupe des sujets liés à la finance et au climat pour l'organisation.
D'importantes sociétés italiennes sont impliquées dans le plan, comme Eni et le transporteur d'électricité Terna, ou encore le groupe agro-industriel Bonifiche Ferraresi.
Simone Ogno craint que certains projets se focalisent sur l'exportation de matières premières, "dont on ne sait pas ce qui restera dans les pays producteurs".
"Le suivi" des projets "sera important", estime Giovanni Carbone, qui note que "les efforts sur le sujet ne sont pas encore suffisants".
M. Oliveira--JDB