Dans un bunker, l'Allemagne cache son trésor de terres rares
Dans un ancien bunker, une porte blindée de plus de 4 tonnes protège la plus grande réserve allemande de terres rares, un trésor stratégique face aux restrictions de la Chine, principal producteur mondial.
Par souci de sécurité, l'adresse du site, à l'est de Francfort, reste confidentielle. Et l'espace est bien sûr sous vidéosurveillance étroite.
La PME allemande Tradium, experte du négoce de ces matériaux, y stocke des milliers de fûts de dysprosium, terbium et autre néodyme, des matières indispensables à nos smartphones, voitures électriques et éoliennes. Presque toutes les étiquettes affichent une même origine : la Chine.
En pleine guerre commerciale avec Washington, Pékin a imposé début avril des restrictions sur ses exportations, en imposant une licence aux conditions drastiques. Or Pékin contrôle, plus de 60% de l'extraction minière et 92% de la production raffinée à l'échelle mondiale, selon l'Agence internationale de l'énergie.
Cela concerne notamment les aimants aux terres rares indispensables au secteur automobile, et dont l'Allemagne, géant mondial, a donc cruellement besoin.
Les industriels européens se retrouvent dans une situation délicate.
"La nervosité monte chez nos clients" du monde entier, explique à l'AFP Matthias Rüth, président et fondateur de Tradium qui compte moins de 40 salariés pour un chiffre d'affaires devant culminer à 300 millions d'euros cette année.
Pour un industriel, "cela peut aller jusqu'à l'arrêt complet de la production, c'est évidemment dramatique".
Les exportateurs chinois ne sont "pas non plus vraiment contents", mais "leurs mains sont liées" par la décision du pouvoir chinois , ajoute le patron.
Comme la Chine jouit d'un quasi-monopole de ces terres rares, "il manque des matières premières, les prix explosent, et personne ne sait vraiment comment la situation va évoluer".
- Pékin verrouille -
La dépendance aux terres rares chinoises remonte à plusieurs décennies. Selon M. Rüth, les autorités chinoises relevaient déjà dans les années 1990: "le Moyen-Orient a le pétrole, nous avons les terres rares".
L'Europe n'a elle jamais créé sa propre industrie minière, préférant acheter "à moindre coût auprès de pays aux normes environnementales plus faibles", explique à l'AFP Martin Erdmann, de l'Institut fédéral des géosciences et des ressources naturelles (BGR).
Et les États-Unis, leaders mondiaux encore dans les années 1990, ont "abandonné la production pour des raisons de coût et d'environnement, laissant la Chine dominer le marché".
Si Donald Trump et Xi Jinping se seraient entendus fin octobre pour suspendre des restrictions aux exportations, dont certaines liées aux terres rares, et que le président américain affirme que cela valait pour le monde entier, la réalité est bien moins claire.
Ainsi, "les restrictions d'avril restent" en place, Pékin exigeant toujours "des licences obligatoires, qui passent par la divulgation de secrets industriels et la preuve que le matériau n'ira pas (aux industries de la) défense", souligne M.Erdmann. Peu d'entreprises européennes peuvent accepter ces conditions.
- Objectif 2030 -
Il y a une quinzaine d'années, le Japon était dans une crise similaire, dictée aussi par son voisin chinois. En réponse, il a développé des chaînes d'approvisionnement alternatives, en Australie notamment, et constitué des stocks stratégiques.
Pour l'Europe, "il est crucial de tirer les mêmes leçons et d'investir massivement", selon M. Erdmann.
L'Europe a adopté en 2024 une législation pour sécuriser ses approvisionnements : d'ici 2030, elle devra produire au moins 10 % de l'extraction, 40 % de la transformation et 25 % du recyclage de 17 matières premières stratégiques.
Mais sa mise en œuvre s'annonce compliquée, le marché des terres rares restant prisonnier des "très bas prix, probablement maintenus (à dessein à ce niveau) par la Chine", qui "empêchent toute exploitation rentable" hors de l'Empire du Milieu, selon M. Erdmann.
L'EU a décidé l'accélération des procédures d'autorisation pour l'exploitation de terres rares sur le Continent, mais cela ne les rendra "pas encore économiquement viables", explique l'expert.
"Notre vie moderne dépend entièrement de ces matières", mais trouver une alternative quand elles viennent à manquer "est très difficile", abonde M.Rüth.
Et de conclure un rien désabusé : "de mon point de vue, il est déjà trop tard".
G. Lopes--JDB