
Après une frappe israélienne, Gaza pleure les morts du café al-Baqa

La terrasse habituellement animée du café al-Baqa est totalement sens dessus dessous au lendemain d'une frappe israélienne ayant fait 24 morts, selon les secours, dont des artistes et des journalistes, dans cet établissement réputé de la ville de Gaza.
Sur les réseaux sociaux, les publications se multiplient pour rendre hommage aux personnes tuées à l'heure où elles sont mises en terre dans une bande de Gaza ravagée par plus de 20 mois de guerre.
"Gaza a perdu un talent rare", ont écrit deux amis de l'artiste Amina al-Salmi, surnommée Frans, dans un communiqué publié sur Instagram, après la mort de cette jeune femme dans le café.
"Amina n'était pas juste une artiste, c'était une âme lumineuse", ajoute la déclaration cosignée par la journaliste Noor Harazeen qui établit un parallèle entre un des derniers dessins de l'artiste et une photo de l'attaque où on la voit le visage couvert de sang.
Ismaïl Abou Hatab, présenté comme un journaliste et un vidéaste par ses proches, fait également l'objet de publications saluant sa mémoire.
Lors de la dernière prière devant sa dépouille, son gilet pare-balle, siglé presse, a été déposé sur sa poitrine, comme l'ont souvent fait les Gazaouis lorsqu'un journaliste a été tué au cours de cette guerre déclenchée le 7 octobre 2023 par le mouvement islamiste palestinien Hamas.
Ces deux morts comptent parmi les 24 personnes tuées, selon un bilan de la Défense civile de Gaza, une organisation de premiers secours.
Les images de ce grand café en bord de mer, dont le décor a été dévasté par l'explosion, ont envahi les réseaux, on y voit plusieurs corps inertes, mais également Bayan Abusultan, une journaliste et militante des droits humains, la moitié du corps en sang.
"Nous avons survécu pour maudire l'occupation un jour de plus", a-t-elle écrit sur Facebook.
- "Refuge" -
L'armée israélienne a déclaré mardi à l'AFP que la frappe avait visé "plusieurs terroristes du Hamas", et que "des mesures [avaient] été prises [...] pour réduire les risques de nuire à des civils", tout en précisant qu'il s'agissait d'un "incident [...] en cours d'examen".
Avant la guerre, ce café était connu pour accueillir des hommes et des femmes, et même le peu d'étrangers pouvant se rendre dans la bande de Gaza, sous blocus israélien.
Construit en plusieurs espaces, dont une partie sur pilotis au dessus de l'eau, al-Baqa a été endommagé et réparé plusieurs fois au cours des derniers mois, en particulier au cours de la courte trêve de deux mois, rompue en mars 2025, au cours de laquelle de nombreux Palestiniens ayant fui le nord du territoire palestinien, où se trouve la ville de Gaza, y étaient revenus.
Il y a quelques semaines, le café avait à nouveau pu offrir une connexion à internet, attirant à nouveau sa clientèle d'avant-guerre.
Les denrées n'entrant plus qu'au compte-gouttes dans la bande de Gaza, les cuisines étaient fermées mais il était encore possible d'y prendre un thé, dos aux gigantesques destructions.
"Al-Baqa est un café, l'un des plus connus en bord de mer à Gaza", estime Maher al-Baqa, copropriétaire des lieux, "les habitués sont des jeunes intellectuels, des journalistes, des artistes, des médecins, des ingénieurs..."
"Les jeunes fuient les tragédies et les conditions difficiles de Gaza. Ils viennent pour des rendez-vous de travail ou juste pour souffler un peu", se souvient encore M. Baqa, "l'occupant (Israël, NDLR) a trahi ces gens et a bombardé l'endroit sans aucune justification".
"La mer est devenue notre seul refuge", abonde sur Instagram Shorouq Aila, une autre journaliste de Gaza qui a partagé des photos du lieu.
Au milieu des messages partageant des souvenirs des disparus ou de cet établissement, Wassim Saleh, un autre journaliste, a écrit sur Facebook depuis ce qui reste d'al-Baqa: "La mer continue de rejeter des morceaux de corps, que nous enterrons".
Encore sous le choc, M. Baqa précise qu'il a perdu quatre employés et trois membres de sa famille dans la frappe.
Les témoignages de soutien le touchent : "J’ai senti, à travers la grande solidarité des gens avec ce lieu, qu'ils défendaient ce qu'il leur restait de rêve à Gaza".
R. do Carmo--JDB