
Yamê, porté par le flow

Dans un salon de thé en Chine, un chanteur de rue reprend des paroles venues d'ailleurs. "J'sors la bécane/j'fume la beuh", entonne-t-il dans une vidéo aux 6 millions de likes, reproduisant le flow haut perché de Yamê, artiste franco-camerounais en plein envol.
"C'est incroyable, le gars a ramené ça là-bas ! Je pense pas qu'ils comprennent les paroles mais l'émotion circule", s'amuse le chanteur-pianiste de 32 ans, rencontré par l'AFP avant la sortie de son nouvel album "Ebêm", qui sera suivi d'une tournée européenne à l'automne.
Artiste hybride soul-rap-pop, fan d'Aznavour ou de trap, Yamê, fines tresses et dentition à trous, n'en est pas à sa première conquête.
Sur TikTok, le producteur-star américain Timbaland, qui a travaillé avec Madonna, Jay-Z ou Drake, avait succombé à une des envolées piano-voix qui ont fait sa renommée et illuminaient son deuxième album, "Elowi". Une copieuse tournée et une Victoire de la musique en 2024 avaient suivi.
Plus récemment, le chanteur-guitariste français -M- a convié, pour son nouveau "Lamomali", celui dont il partage la tessiture, une voix de tête qui fait vibrer l'échine. "Il est acrobatique dans les aigus et en même temps assez jazz", disait récemment -M- à l'AFP, saluant un artiste "très doué".
Bel hommage à ce multidiplômé (histoire, informatique) qui, il y a quelques années à peine, trainait son spleen dans une entreprise de data et éclusait les jams parisiennes derrière un anonyme piano électrique.
"Le charbon (le travail, ndlr) a changé de niveau, si bien que tu vois pas qu'on vient d'en bas", chante Yamê dans "Quête", résumant son ascension.
- "Travailler sa patte" -
En 2021, la fin du confinement et la perspective d'un retour au bureau ont été, dit-il, "la petite goutte de trop" qui l'a décidé à se lancer. "Il fallait que j'y aille, j'aurais eu trop de regrets", rembobine le natif de banlieue parisienne, porté par un double héritage familial.
Au Cameroun, où il a passé une partie de son enfance, son père guitariste avait fait construire un studio de musique. L'accès lui en était interdit mais un piano trainait à l'extérieur. "C'est peut-être pour ça que c'est l'instrument que j'ai choisi", observe-t-il.
Sa mère informaticienne avait, elle, transformé le salon familial en QG où une dizaine d'ordinateurs étaient reliés en réseau.
"On peut dire que j'ai fini pile entre les deux", résume Yamê, qui se revendique autant musicien que "geek".
"Geeker, ça veut juste dire être à fond sur quelque chose, dénicher la moindre info sur un truc précis, être le premier au courant des dernières innovations", précise cet explorateur d'intelligence artificielle et de motos high-tech.
Musicalement aussi, l'artiste a beaucoup creusé, ou "charbonné" comme il le dit: "Le charbon se fait tout le temps pour trouver les choses qui me stimulent artistiquement. Le charbon pour moi, c'est travailler sa patte".
La patte Yamê ? Une voix haut perchée donc, un clavier soyeux, des arrangements sophistiqués portés par une basse-batterie au cordeau et un métalangage poétique qui, de son propre aveu, requiert parfois des sous-titres.
"Je pense que c'est en affirmant ce qui fait qu'on est unique qu'on réussit à toucher les gens", affirme le chanteur qui continue sur "Ebêm" à cultiver sa singularité, loin des sentiers battus du rap.
"Pour moi, le rap, ça reste un genre de niche dont on doit sortir pour toucher le plus de personnes", estime celui qui n'a pas "du tout peur" de s'aventurer dans la pop ou la variété. "Pourquoi faudrait-il refuser de peindre avec certaines couleurs quand tu fais un tableau ?", s'interroge-t-il.
En tant qu'artiste, Yamê revendique aussi de ne pas avoir le regard braqué en permanence vers les Etats-Unis.
"Il y a beaucoup de rappeurs qui s'inspirent des Etats-Unis et c'est pas un problème en soi, remarque-t-il. Mais le défi, c'est de voir à quel point tu te réappropries les choses à ta façon pour proposer quelque chose de nouveau".
P. Batista--JDB